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Chapitre 10

Comment Pantagruel trouva Panurge,
lequel il ayma toute sa vie.

 

 

Un jour Pantagruel, se pourmenant hors la ville, vers l'abbaye Sainct Antoine, devisant et philosophant avecques ses gens et aulcuns escholiers, rencontra un homme, beau de stature et elegant en tous lineamens du corps, mais pitoyablement navré en divers lieux et tant mal en ordre qu'il sembloit estre echappé es chiens, ou mieulx resembloit un cueilleur de pommes du païs du Perche. De tant loing que le vit Pantagruel, il dist es asistans : " Voyez vous cest homme, qui vient par le chemin du pont Charanton ? Par ma foy, il n'est pauvre que par fortune, car je vous asseure que, à sa physionomie, Nature l'a produict de riche et noble lignée, mais les adventures des gens curieulx le ont reduict en telle penurie et indigence. " Et, ainsi qu'il fut au droict d'entre eulx, il luy demanda : " Mon amy, je vous prie que un peu vueillez icy arrester et me respondre à ce que vous demanderay, et vous ne vous en repentirez point, car j'ay affection très grande de vous donner ayde à mon povoir en la calamité où je vous voy, car vous me faictes grand pitié. Pour tant, mon amy, dictes moy : Qui estes vous ? Dont venez vous ? Où allez vous ? Que querez vous ? Et quel est vostre nom ? "

Le compaignon luy respond en langue Germanicque :

" Juncker, Gott geb euch gluck unnd Hail. Zuvor, lieber Juncker, ich las euch wissen das da ir mich von fragt, ist ein arm unnd erbarmglich ding, unnd wer vil darvon zu sagen, welches euch verdruslich zu hœren, unnd mir zu erzelen wer, vievol die Poeten unnd Orators vorzeiten haben gesagt in irem Sprüchen unnd Sentenzen, das die Gedechtnus des Ellends unnd Armuot vorlangs erlitten ist ain grosser Lust. "

A quoy respondit Pantagruel : " Mon amy, je n'entens poinct ce barragouin ; pour tant, si voulez qu'on vous entende, parlez aultre langaige. "

Adoncques le compaignon luy respondit : " Al barildim gotfano dech min brin alabo dordin falbroth ringuam albaras. Nin porth zadikim almucathin milko prin al elmim enthoth dal heben ensouim : kuthim al dum alkatim nim broth dechoth porth min michais im endoth, pruch dal maisoulum hol moth danrilrim lupaldas im voldemoth. Nin hur diavosth mnarbotim dal gousch palfrapin duch im scoth pruch galeth dal Chinon, min foulchrich al conin butathen doth dal prim. "

- Entendez vous rien là ? " dist Pantagruel es assistans. A quoy dist Epistemon : " Je croy que c'est langaige des antipodes ; le diable n'y mordroit mie. " Lors dist Pantagruel : " Compere, je ne sçay si les murailles vous entendront, mais de nous nul n'y entend note. "

Dont dist le compaignon : " Signor mio, voi videte per exemplo che la cornamusa non suona mai s'ela non a il ventre pieno. Cosi io parimente non vi saprei contare le mie fortune, se prima il tribulato ventre non a la solita refectione. Al quale è adviso che le mani et li denti abbui perso il loro ordine naturale et del tuto annichillati. "

A quoy respondit Epistemon : " Autant de l'un comme de l'aultre. "

Dont dist Panurge :

" Lord, ilf you be so vertuous of intelligence, as you be naturelly releaved to the body, you should have pity of me, for nature hath made us equal, but fortune hath some exalted, and others depreit ; non ye lesse is vertue often deprived, and the vertuous men despised, for before the last end iss none good.

- Encores moins, " respondit Pantagruel.

Adoncques dist Panurge : " Jona andie, guaussa goussyetan behar da erremedio beharde versela ysser lan da. Anbates, oytoyes nausu eyn essassu gourr ay proposian ordine den. Non yssena bayta fascheria egabe genherassy badia sadassu noura assia. Aran hondovan gualde eydassu nay dassuna. Estou oussyc eguinan soury hin er darstura eguy harm. Genicoa plasar vadu. "

- Estez vous là, respondit Eudemon, Genicoa ? "

A quoy dist Carpalim : Sainct Treignan, foutys vous d'Escoss, ou j'ay failly à entendre ! "

Lors respondit Panurge : " Prug frest strinst sorgdmand strochdt drhds pag brledand Gravot Chavigny Pomardiere rusth pkallhdracg Deviniere près Nays. Bouille kalmuch monach drupp delmeupplistrincq dlrnd dodelb up drent loch minc stzrinquald de vins ders cordelis hur jocststzampenards. "

A quoy dist Epistemon : " Parlez vous christian, mon amy, ou langaige Patelinoys ? Non, c'est langaige Lanternoys. "

Dont dist Panurge : " Herre, ie en spreke anders gheen taele dan kersten taele ; my dunct nochtans, al en seg ie v niet een wordt myuen noot verklaart ghenonch wat ie beglere ; gheest my unyt bermherticheyt yet waer un ie ghevoed mach zunch. "

A quoy respondit Pantagruel : " Autant de cestuy là. "

Dont dist Panurge : " Seignor, de tanto hablar yo soy cansado. Por que supplico a Vostra Reverentia que mire a los preceptos evangelicos, para que ellos movant Vostra Reverentia a lo qu'es de conscientia ; y sy ellos non bastarent para mover Vostra Reverentia a piedad, supplico que mire a la piedad natural, la qual yo creo que le movra como es de razon, y con esto non digo mas. "

A quoy respondit Pantagruel : " Dea, mon amy, je ne fais doubte aulcun que ne sachez bien parler divers langaiges ; mais dictes nous ce que vouldrez en quelque langue que puissions entendre. "

Lors dist le compaignon : " Myn Herre, endog jeg med inghen tunge talede, lygesom boeen, ocg uksvvlig creatner ! Myne kleebon, och myne legoms magerhed uudviser allygue klalig huvad tyng meg meest behoff girered som aer sandeligh mad och drycke : hwarfor forbarme teg omsyder offvermeg ; och bef ael at gyffuc meg nogeth ; aff huylket jeg kand styre myne groeendes maghe, lygeruss son mand Cerbero en soppe forsetthr. Soa shal tue loeffve lenge och lyksaligth.

- Je croy, dist Eustenes que les Gothz parloient ainsi. Et, si Dieu vouloit, ainsi parlerions nous du cul. "

Adoncques, dist le compaignon : " Adoni, scolom lecha : im ischar harob hal habdeca, bemeherah thithen li kikar lehem, chancathub : laah al Adonai chonen ral. "

A quoy respondit Epistemon : " A ceste heure ay je bien entendu : car c'est langue Hebraïcque bien rhetoricquement pronuncée. "

Dont dist le compaignon : " Despota ti nyn panagathe, dioti sy mi uc artodotis ? Horas gar limo analiscomenon eme athlios. Ce en to metaxy eme uc eleis udamos, zetis de par emu ha u chre, ce homos philologi pantes homologusi tote logus te ce rhemeta peritta hyparchin, opote pragma afto pasi delon esti. Entha gar anancei monon logi isin, hina pragmata, (hon peri amphisbetumen), me phosphoros epiphenete. "

- Quoy, dist Carpalim, lacquays de Pantagruel, c'est Grec, je l'ay entendu. Et comment ? As tu demouré en Grece ? "

Donc dist le compaignon : " Agonou dont oussys vou denaguez algarou, nou den farou zamist vous mariston ulbrou fousquez vou brol tam bredaguez moupreton den goul houst, daguez daguez nou croupys fost bardounnoflist nou grou. Agou paston tol nalprissys hourtou los ecbatonous prou dhouquys brol panygou den bascrou noudous caguons goulfren goul oust troppassou. "

- J'entends, se me semble, dist Pantagruel : car ou c'est langaige de mon pays de Utopie, ou bien luy ressemble quant au son. "

Et, comme il vouloit commencer quelque propos, le compaignon dist : " Jam toties vos, per sacra, perque deos deasque omnis obtestatus sum, ut, si qua vos pietas permovet, egestatem meam solaremini, nec hilum proficio clamans et ejulans. Sinite, queso, sinite, viri impii, Quo me fata vocant abire, nec ultra vanis vestris interpellationibus obtundatis, memores veteris illius adagii, quo venter famelicus auriculis carere dicitur. "

- Dea, mon amy, dist Pantagruel, ne sçavez vous parler Françoys ?

- Si faictz tres bien, Seigneur, respondit le compaignon ; Dieu mercy, c'est ma langue naturelle et maternelle, car je suis né et ay esté nourry jeune au jardin de France, c'est Touraine.

- Doncques, dist Pantagruel, racomptez nous quel est vostre nom, et dont vous venez, car, par ma foy, je vous ay jà prins en amour si grand que, si vous condescendez à mon vouloir, vous ne bougerez jamais de ma compaignie, et vous et moy ferons un nouveau pair d'amitié, telle que feut entre Enée et Achates.

- Seigneur, dist le compaignon, mon vray et propre nom de baptesme est Panurge, et à present viens de Turquie, où je fuz mené prisonnier lorsqu'on alla àMetelin en la male heure. Et voluntiers vous racompteroys mes fortunes, qui sont plus merveilleuses que celles de Ulysses, mais puisqu'il vous plaist me retenir avecques vous, (et je accepte voluntiers l'offre, protestant jamais ne vous laisser ; et alissiez vous à tous les diables), nous aurons, en aultre temps plus commode assez loysir d'en racompter, car, pour ceste heure, j'ay necessité bien urgente de repaistre : dentz aguës, ventre vuyde, gorge seiche, appetit strident, tout y est deliberé : si me voulez mettre en ceuvre, ce sera basme de me voir briber. Pour Dieu, donnez y ordre ! "

Lors commenda Pantagruel qu'on le menast en son logis et qu'on luy apportast force vivres. Ce que fut faict, et mangea tres bien à ce soir, et s'en alla coucher en chappon, et dormit jusques au lendemain heure de disner, en sorte qu'il ne feist que troys pas et un sault du lict à table.

 

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